Par McInnes Cooper
Aujourd’hui, les employés ont fort probablement un accès au travail à des équipements pouvant être utilisés pour enregistrer secrètement des conversations au sein du milieu de travail, y compris celles avec son employeur. La facilité avec laquelle un enregistrement peut être réalisé, que ce soit à l’aide de leur téléphone intelligent personnel, voire l’équipement de leur employeur, peut s’avérer une tentation trop forte pour certains employés, en particulier avec l’incidence croissante du télétravail. Afin d’aider les employeurs à gérer les risques liés à l’enregistrement secret, voici les réponses à cinq questions fréquemment posées concernant l’enregistrement secret des conversations concernant le travail avec leur employeur par les employées.
- Est-il légal pour les employés d’enregistrer secrètement les conversations avec leur employeur au travail ?
Le Canada applique la règle du « consentement » d’une seule partie : tant qu’une des parties à une conversation sait que celle-ci est enregistrée, l’enregistrement de la conversation est légal. Ainsi, si l’employé enregistre sa propre conversation avec son employeur, l’enregistrement est légal, même si l’employeur n’en a pas connaissance. En revanche, un exemple de ce qui serait illégal serait qu’un employé entreprenne de dissimuler un appareil d’enregistrement afin d’enregistrer secrètement des conversations sur le lieu de travail auxquelles il ne participe pas. Par ailleurs, n’oubliez pas : si un employé demande s’il peut enregistrer la réunion (c-à-d, ne le fait pas « secrètement »), vous pouvez refuser. Si vous refusez, il peut être utile de proposer une alternative viable, par exemple en invitant l’employé à prendre des notes, en lui fournissant des documents supplémentaires si nécessaire ou en préparant un résumé de la réunion après celle-ci.
- L’enregistrement secret d’une conversation avec son employeur constitue-t-il un motif valable de licenciement ?
Peut-être : tout dépend des circonstances particulières, mais il y a une chance appréciable que ce soit le cas. Souvent, l’employeur ne prend connaissance de l’existence d’enregistrements secrets qu’après le licenciement de l’employé, notamment lorsque celui-ci cherche à s’appuyer sur ces enregistrements dans le cadre d’une procédure judiciaire, menant l’employeur à faire valoir que la réalisation de ces enregistrements constitue un « motif valable acquis postérieurement », justifiant le licenciement de l’employé. Par exemple :
- Dans la décision rendue en 2022 par la Cour du Banc du Roi de l’Alberta dans l’affaire Rooney c. GSL Chevrolet Cadillac Ltd., l’employeur a tenté d’invoquer les enregistrements clandestins des conversations sur le lieu de travail réalisés par l’employé comme motif valable, acquis postérieurement. La Cour a refusé de permettre à l’employeur de faire valoir cet argument, mais a suivi en faisant valoir que si les enregistrements clandestins constituent généralement un motif valable de licenciement, il existe potentiellement des exceptions à ce principe général, notamment lorsqu’il existe un déséquilibre de pouvoir et les enregistrements sont utilisés pour établir la crédibilité. En tel cas, la Cour a indiqué, notant que la relation de travail était déjà « tendue », que les enregistrements sont justifiés en raison du déséquilibre de pouvoir et en raison des préoccupations de l’employé concernant un licenciement déguisé. La Cour a également souligné que l’employeur n’avait pas été en mesure de citer de politiques pertinentes ayant une incidence sur les enregistrements.
- Cependant, la Cour suprême de la Colombie-Britannique est parvenue à une conclusion différente dans sa décision de 2022 dans l’affaire Shalagin c. Mercer Celgar Limited Partnership. L’employeur a licencié l’employé sans motif valable et celui-ci a intenté une action en justice pour licenciement injustifié. L’employeur a ensuite découvert que l’employé avait, sur une période de 10 ans, secrètement enregistré un nombre important de réunions avec ses collègues, ses supérieurs et le personnel des ressources humaines. S’appuyant sur cette découverte, l’employeur a pris la position qu’il avait un motif valable acquis postérieurement. La question était de savoir si les enregistrements secrets constituaient une conduite fondamentalement incompatible avec le avec les obligations de l’employé et portaient atteinte à la relation de travail. La Cour a tranché que cette conduite de l’employé avait porté atteinte à la confiance de l’employeur et violé la vie privée des personnes enregistrées, ce qui constituait un motif de licenciement valable. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a comparé les raisons évoquées par l’employé pour justifier sa conduite à l’impact de celle-ci sur la relation de travail avec son employeur. De plus, la Cour a déterminé que le comportement de l’employé contrevenait au code de conduite et aux politiques de confidentialité de l’employeur. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté l’appel de l’employé, soulignant qu’un employé qui enregistre ses collègues et ses supérieurs de façon clandestine n’équivaut pas nécessairement à tromper expressément son employeur ou à mentir à quelqu’un dans le cadre de ses fonctions. Cependant, la Cour a déterminé que dans ce cas, l’enregistrement était sournois et serait considéré par la plupart des employeurs comme une conduite fautive et portant atteinte à la relation de confiance entre l’employeur et l’employé. De plus, l’employé violait également la vie privée des personnes enregistrées, ainsi que celles dont il était question dans les discussions enregistrées.
- De même, dans la décision arbitrale rendue en 2022 dans Alberta Health Services v Alberta Union of Provincial Employees, l’employeur avait licencié l’employée pour motif valable. Au cours de la procédure d’arbitrage, l’employée a tenté de présenter des enregistrements secrets de ses conversations avec ses supérieurs. L’employeur n’a pas objecté à l’introduction de ces enregistrements en preuve, mais a plutôt fait valoir qu’ils constituaient un motif de licenciement valable acquis postérieurement. Le conseil d’arbitrage a donné raison à l’employeur, déterminant, sans hésitation, que les enregistrements constituaient une violation extrêmement grave de la confiance et qu’une fois révélés, ils avaient compromis de manière irréparable la relation de travail entre l’employée et ses supérieurs.
- Un employé qui publie des enregistrements secrets de conversations avec son employeur, en dehors de ses heures de travail, commet-il un acte méritoire de sanction disciplinaire ou de licenciement ?
Tout dépend de l’effet de la publication. Les employés peuvent être sujet à des sanctions disciplinaires pour leur comportements en dehors des heures de travail, y compris sur les réseaux sociaux, lorsque ces comportements ont un impact négatif sur les affaires de son employeur de l’une ou l’autre des manières suivantes :
- Ils nuisent à la réputation de l’employeur ou celle de ses produits.
- Ils empêchent l’employé de s’acquitter de ses fonctions de manière satisfaisante.
- Ils mènent les autres employés à refuser, à hésiter ou à être incapables de travailler avec lui.
- L’employé est coupable d’une infraction grave au Code criminel, rendant sa conduite préjudiciable à la réputation générale de l’employeur et de ses employés.
- Ils entravent la capacité de l’employeur à correctement s’acquitter de la gestion de ses opérations et de diriger efficacement sa main-d’œuvre.
Par exemple, les tribunaux et les arbitres ont régulièrement confirmé des mesures disciplinaires, voire des licenciements, fondés sur des actes d’intimidation et de harcèlement commis sur les réseaux sociaux en dehors des heures de travail. Dans le contexte des publications d’un employé sur les réseaux sociaux contenant des enregistrements secrets de conversations avec son employeur, il est facile de comprendre pourquoi un employeur pourrait vigoureusement argumenter que le comportement de l’employé pourrait constituer un motif de licenciement.
- Les employés peuvent-ils introduire en preuve des enregistrements secrets de conversations avec leur employeur dans le cadre d’une procédure judiciaire contre celui-ci ?
Les arbitres ont historiquement exprimé leur inquiétude quant à l’admission de tels enregistrements, en raison du risque systémique que l’admission d’enregistrements secrets réalisés par des employés pourrait avoir un effet dissuasif sur la coopération et la collaboration au sein du milieu de travail, les discussions ouvertes en vue d’un règlement et les échanges franches axées sur la résolution des problèmes. Les tribunaux et les panels d’arbitrage ont également exprimé leurs inquiétudes quant à leur potentiel manque de fiabilité. Cependant, en pratique, l’admissibilité dépend souvent de l’objectif et des circonstances dans lesquels l’enregistrement a été réalisé. Par exemple :
- Dans la décision rendue en 2022 par la Cour du Banc du Roi de l’Alberta dans l’affaire Rooney c. GSL Chevrolet Cadillac Ltd., l’employeur s’est vigoureusement opposé à l’introduction en preuve des enregistrements clandestins de l’employé. La Cour a d’abord procédé à une analyse détaillée de l’admissibilité des enregistrements secrets de l’employé. Elle a commencé par rappeler la règle générale selon laquelle, dans une affaire civile (telle qu’une affaire de licenciement injustifié), elle a le pouvoir discrétionnaire d’exclure les preuves pertinentes lorsque leur effet préjudiciable l’emporte sur leur valeur probante, y compris celles qui ont été obtenues illégalement ou de manière « inappropriée ». Elle a ensuite examiné des décisions d’arbitrage du travail sur lesquelles l’employeur fondait ses objections quant à l’admissibilité, qui suggérait que l’admission des enregistrements secrets de l’employé pourrait avoir un effet dissuasif sur la coopération et la collaboration au sein du milieu de travail, les discussions ouvertes en vue d’un règlement et les échanges franches axées sur la résolution des problèmes. Notant que les enregistrements dans cette situation ne relevaient pas d’entre les exceptions à l’admissibilité applicable aux enregistrements illégaux (ici, il était légal), la Cour a fait remarquer qu’elle pouvait exclure les preuves pertinentes lorsqu’elles étaient « inappropriées », mais que les enregistrements secrets sur le lieu de travail n’étaient pas toujours « inappropriés ». La Cour a conclu que dans les circonstances de l’espèce, où l’employé soupçonnait raisonnablement qu’il faisait l’objet d’un licenciement déguisé, l’enregistrement secret était justifié et la Cour l’a admis en preuve.
- La décision rendue en 2023 par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’affaire Teljeur c. Aurora Hotel Group offre un exemple similaire de mise en garde concernant l’admissibilité des enregistrements secrets des employés et leur impact sur l’employeur. Dans cette affaire, l’employeur avait licencié l’employé. L’employé a enregistré, à l’insu de son employeur, la réunion lors de laquelle il a été licencié. Il a ensuite entamé une action pour licenciement injustifié, réclamant notamment des dommages-intérêts extracontractuels, en raison de la manière dont le licenciement avait été effectué. La Cour a admis l’enregistrement en preuve. Tranchant que l’enregistrement mettait en évidence un certain nombre d’aspects troublants du licenciement, la Cour s’est appuyée sur l’enregistrement pour conclure que l’employeur avait agi de mauvaise foi lors de la réunion de licenciement, notamment en encourageant l’employé à démissionner et en ne lui versant pas l’indemnité de licenciement promise. Sur cette base, la Cour a accordé à l’employé 15 000 dollars de dommages-intérêts majorés. En 2024, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision de première instance. Il convient toutefois de noter que ni la décision de la Cour supérieure ni celle de la Cour d’appel n’indiquent que l’employeur s’est objecté à l’introduction de l’enregistrement en preuve ni n’indiquent qu’il a invoqué le fait de l’enregistrement secret comme motif valable de licenciement acquis postérieurement.
- Comment pouvez-vous atténuer le risque que des employés enregistrent secrètement leurs conversations avec vous (voire publient ces enregistrements sur leurs réseaux sociaux)?
Il est impossible d’éliminer ce risque, mais voici cinq mesures à prendre pour réduire le risque qu’un employé enregistre secrètement des réunions.
Intégrez-le dans une politique. Rédigez de nouvelles politiques ou modifiez les politiques existantes afin d’indiquer clairement qu’il est interdit aux employés d’enregistrer des conversations sur le lieu de travail et de publier ces enregistrements sur une quelconque plateforme en ligne. Veillez aussi à la mise en œuvre de ces politiques afin de vous assurer qu’elles sont exécutoires si vous devez vous en servir.
L’emplacement, l’emplacement, l’emplacement. Il est un peu plus facile de contrôler si un employé enregistre une conversation lorsqu’elle a lieu en personne. Cependant, de nombreuses réunions de toutes sortes se tiennent virtuellement, ce qui rend encore plus facile pour un employé de les enregistrer subrepticement. Si possible, organisez les réunions importantes en personne.
Envisagez le pire scénario. Même après avoir mis en place les politiques nécessaires, comportez-vous comme si l’employé vous enregistrait secrètement. Cela implique notamment d’adopter une attitude professionnelle tout au long de chaque réunion. En particulier, lors des réunions de licenciement, veillez à vous comporter de manière honnête et de bonne foi afin de réduire le risque que tout enregistrement puisse être utilisé contre vous dans le cadre d’une demande de dommages-intérêts pour mauvaise foi dans la manière du licenciement.
Tenez-vous-en à un script. Il est toujours judicieux de préparer et de suivre des notes bien rédigées lors de toute réunion importante avec un employé. Non seulement cela vous aide à ne pas dire des choses que vous ne devriez pas dire, mais cela vous aide également à couvrir les points que vous devez aborder. Si vous ne connaissez pas la réponse à une question posée par l’employé, notez-la et engagez-vous à fournir la réponse. Veillez également à ce que le script réitère le fait qu’il est interdit d’enregistrer la réunion.
Faites-vous accompagner d’un témoin. Indépendamment du risque d’enregistrements secrets, il est recommandé de faire assister deux représentants aux réunions importantes avec les employés : l’un pour parler et l’autre pour prendre des notes détaillées (et lisibles) qui seront signées, datées et placées dans le dossier de l’employé afin que vous puissiez y avoir accès en cas de procédure judiciaire ultérieure.
Cet article n’a qu’une valeur informative. Il ne s’agit pas d’un avis juridique. McInnes Cooper exclut toute responsabilité quant au contenu ou à l’utilisation de cet article. McInnes Cooper, 2025. Tous droits réservés.